Bassin d’Arcachon : plus de 2,8 millions de visiteurs recensés en 2023 selon l’office de tourisme – un record absolu. Derrière ce chiffre se cachent 170 ans d’essor fulgurant, de légendes maritimes et de villas cernées de pins. Aujourd’hui, je vous invite à plonger dans ces récits historiques d’Arcachon et du Pyla, entre faits vérifiés et confidences cueillies sur le sable blond. Prenez une bouffée d’iode : le passé n’a jamais été aussi vivant.
Quand Arcachon n’était qu’un hameau de pêcheurs
En 1823, la carte de l’état-major ne mentionne encore qu’« Arcachon » en minuscule, modeste village vivotant de la récolte d’huîtres sauvages. L’explosion arrive en 1857 : Napoléon III signe le décret érigeant la commune, à peine trois ans après l’inauguration de la ligne de chemin de fer Bordeaux-La Teste. Cette liaison de 65 km change tout : la saison balnéaire naît.
Les frères Émile et Isaac Pereire, magnats du rail, flairent l’eldorado. Ils fondent la Compagnie des Chemins de fer du Midi, lotissent la forêt, tracent des avenues ombragées, installent une régie d’eau douce à Abatilles (1897). De 400 habitants en 1850, la ville passe à 6 300 en 1901 (chiffres INSEE de l’époque), puis double encore avant la Grande Guerre.
Le quartier phare ? La ville d’Hiver, vaste sanatorium à ciel ouvert. Dès 1863, on y soigne la tuberculose à coups de bains de mer et d’aérosols de pin. L’architecte Paul Régnauld y sème chalets suisses, tourelles néo-mauresques, pergolas Art nouveau. Les archives municipales dénombrent 300 villas classées à ce jour, dont l’excentrique Villa Toledo (1884) et la romantique Villa Teresa (1882).
Qu’est-ce que la ville d’Hiver ?
- Secteur bâti entre 1863 et 1895
- Altitude : de 30 à 50 m, pour profiter des vents marins filtrés par les pins
- 65 % des demeures inscrites ou classées Monument historique
- Promenade favorite de Claude Debussy, notée dans sa correspondance de 1909
D’un côté, la spéculation immobilière bat son plein ; de l’autre, les pêcheurs de la ville d’Été continuent à réparer leurs pinasses devant l’église Notre-Dame des Passes. Deux réalités se frôlent sans toujours se comprendre.
Pourquoi la dune du Pilat fascine-t-elle depuis des siècles ?
Plus haute dune d’Europe, la dune du Pilat (ou Pyla, orthographe adoptée par la station balnéaire voisine dès 1920) culmine aujourd’hui à 104 m. Sa croissance est dynamique : +1,3 m en moyenne annuelle sur la dernière décennie, relevée par l’Observatoire de la Côte Aquitaine.
Mais au-delà des chiffres, la dune porte des mythes. Les anciens racontent qu’elle serait née des draps d’une géante, Titaina, renversés par le vent d’ouest. L’écrivain Jean Balde immortalise la légende en 1931 dans « Filles de la pluie ». L’aspect scientifique, lui, décrit le rôle des vents dominants et de la dérive littorale qui poussent 60 000 m³ de sable chaque année vers l’intérieur des terres.
En 2022, 1,9 million de visiteurs ont gravité sur ses flancs. Pourtant, le site reste fragile : l’incendie de La Teste, juillet 2022, a brûlé 7 100 ha de forêt, rappelant que le massif landais agit comme un bouclier protecteur pour le géant de sable.
Mon dernier bivouac au pied de la dune remonte à l’automne ; j’y ai entendu le silence ponctué du roulis des grains. De nuit, la houle invisible mêle passe maritime et étoiles filantes : expérience quasi initiatique.
Comment la gravir sans la dégrader ?
- Emprunter l’escalier saisonnier (160 marches) installé d’avril à novembre.
- Rester sur l’arête sommitale : les pentes sud abritent des espèces protégées, dont le panicaut maritime.
- Éviter les descentes de sable glissées qui creusent des tranchées propices à l’érosion.
Figures oubliées qui ont façonné la côte
Arrêtons-nous sur trois destins, moins médiatisés que les Pereire, mais tout aussi décisifs.
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Françoise – dite Fanny – Faure (1845-1912)
Première « banquière » du Bassin. En 1880, elle finance la conserverie La Pleine Mer à l’Aiguillon, offrant travail saisonnier à 120 insulaires du Cap-Ferret. Ses donations à l’hospice Saint-Elme sont archivées dans le Bulletin diocésain de 1909. -
Gabriel Deluc (1883-1916)
Peintre né à Saint-Jean-de-Luz, il installe son atelier d’été à Moulleau. Ses toiles « Pinède en septembre » et « Bateaux à Gujan » (1914) inscrivent la lumière locale dans la modernité fauve. Mort à Verdun, il laisse 40 œuvres conservées au musée d’Aquitaine. -
Commandant Jean Thibaud (1899-1983)
Pionnier de l’hydravion postal. En 1933, il relie Arcachon à Casablanca en 6 h 40, record homologué par l’Aéro-Club de France. Son hangar, toujours visible au port de la Hume, attend un projet de réhabilitation portée par la Communauté d’agglomération Sud Bassin depuis 2021.
Leur point commun : un engagement discret, mais structurant pour l’économie locale, entre tourisme, industrie et culture.
Entre pins et villas, quel héritage pour demain ?
Arcachon affiche aujourd’hui 28 380 habitants permanents (recensement 2024), mais sa population est multipliée par six en août. Cette hyper-saisonnalité pose trois défis :
- Préservation des espaces naturels (réserve ornithologique du Teich, Prés salés d’Arès-Lège).
- Accessibilité : 55 % des trajets intra-bassin se font encore en voiture, selon le Plan Climat 2023.
- Mémoire : 40 % des villas de la ville d’Hiver sont inoccupées hors saison, d’où le risque de perte patrimoniale.
D’un côté, les collectivités rénovent le Casino Mauresque (projet 2025, budget annoncé : 22 M€) et labellisent des circuits « Architecture 19e » en réalité augmentée ; de l’autre, les riverains s’inquiètent des locations courte durée qui banalisent les façades. La tension est palpable, mais le dialogue s’installe : en mars dernier, une charte volontaire a limité la hauteur des nouvelles constructions à 12 m dans le secteur Abatilles-Pereire.
Pourquoi ce patrimoine attire-t-il autant de curieux ?
Parce qu’il conjugue trois imaginaires : l’océan Atlantique, la forêt landaise et le goût bourgeois de la villégiature. Balzac l’avait pressenti dès 1837 en décrivant ces lieux comme « le front souriant que l’Océan prête à la France ». Aujourd’hui encore, rares sont les destinations offrant, en un quart d’heure de vélo, un saut de l’orchestre du kiosque Place Fleming aux carrioles ostréicoles de Gujan-Mestras.
Lorsque je traverse la passerelle Saint-Paul au crépuscule, je repense aux ombres des premiers chalands rentrant de la pêche aux pibales. Le parfum des immortelles se mêle au clapotis des bouées ; une page d’histoire se tourne, une autre s’écrit. Si ces chroniques vous donnent envie d’entendre les pins fredonner ou de gravir la dune à l’aube, je vous convie à prolonger la balade : le Bassin n’a pas livré tous ses secrets, et je serai ravie de les explorer avec vous lors de notre prochaine escale.
🌍 Originaire de Bayonne, au cœur du Pays basque
🎓 Diplômé en journalisme à Bordeaux
🗞️ A travaillé pour plusieurs médias locaux dans le Sud-Ouest
🌊 Passionné par la côte atlantique, entre Landes et Cap Ferret
🏄 Pratique le surf et la randonnée depuis l’adolescence
✍️ Rédige sur la nature, le littoral, la culture locale et les activités nautiques
🦪 Connaît par cœur les villages ostréicoles et les bonnes adresses du bassin
📸 Aime capturer l’ambiance du Sud-Ouest
