Arcachon, 150 ans d’histoires de sable, pins et légendes marines

Histoire d’Arcachon – En 2023, plus de 3,2 millions de visiteurs ont foulé le sable blond du Bassin, selon l’Office de tourisme. Pourtant, derrière ce succès touristique se cache un siècle et demi d’aventures humaines, de légendes marines et de forêts façonnées par le vent. Dès la seconde phrase, le décor est planté : ici, chaque pin, chaque villa, chaque grain de la dune du Pilat raconte un fragment du patrimoine aquitain. Accrochez-vous, la marée des anecdotes monte vite.

Aux origines d’un port de santé

Arcachon naît officiellement le 2 mai 1857, quand Napoléon III signe le décret érigeant la commune. Avant cela, le village de pêcheurs dépendait de La Teste-de-Buch. Les frères Émile et Isaac Pereire, barons du chemin de fer, flairent la fièvre balnéaire qui gagne l’Europe ; ils prolongent la ligne Bordeaux-La Teste jusqu’à Arcachon en 1857. Résultat : le trajet passe de neuf heures en diligence à deux heures trente en train – une petite révolution qui fait grimper le nombre de curistes de 400 à 5 000 par an entre 1860 et 1870.

La ville d’Hiver : sanatorium à ciel ouvert

• 310 villas construites entre 1862 et 1900
• Altitude : jusqu’à 45 m au-dessus du niveau de la mer
• Style : chalets suisses, mauresques, néo-gothiques

Destinée aux tuberculeux fortunés, cette Ville d’Hiver doit son parfum exotique à l’architecte Paul Régnauld. Des essences venues d’Australie (mimosas), du Mexique (agaves) ou d’Algérie (palmiers) acclimatent l’air iodé et résineux – cocktail réputé salvateur. D’un côté, la haute société prend l’air ; de l’autre, les pêcheurs d’huîtres perpétuent leurs gestes médiévaux dans les cabanes tchanquées de l’Île aux Oiseaux. Deux mondes qui se frôlent sans se confondre.

Pourquoi la dune du Pilat fascine-t-elle toujours ?

La dune du Pilat, parfois orthographiée Pyla, culmine aujourd’hui à 104 m (mesure officielle 2024, ONF). Elle avance d’environ 1 à 5 m par an vers l’est, engloutissant forêts et routes. En 1928, l’hôtel Haïtza devait déjà reconstruire sa terrasse, gagnée par le sable. Fascination ou menace ? Les deux à la fois.

Formation express (histoire géologique)

1. L’Ère glaciaire – Les vents d’ouest balaient les sédiments du plateau continental.
2. L’Holocène – Le niveau marin remonte, bloquant les dépôts derrière le banc d’Arguin.
3. XVIᵉ-XVIIIᵉ siècles – Les tempêtes forment les dunes actuelles, baptisées tas de sable par les registres de La Teste (1713).

En 2014, une étude de l’Ifremer a montré que 60 % du sable provient de l’érosion de la côte landaise, confirmant la dynamique littorale régionale.

Comment la culture locale a-t-elle modelé le paysage ?

La pinède qui entoure Arcachon n’est pas qu’un cadeau de la nature. Napoléon III la fait planter massivement dès 1855 pour fixer les dunes et développer la résine. Résultat : 1 million de pins maritimes couvrent le secteur en 1900. Cette politique forestière crée un tissu économique parallèle :

• Gemmeurs et résiniers (jusqu’à 4 500 actifs en 1930)
• Chantiers navals artisanaux, dont les frères Dubourdieu à Gujan-Mestras (1883)
• Naissance de l’ostréiculture moderne : Jean-Baptiste Coste expérimente le captage des larves d’huîtres en 1865

Sans ces métiers, les villages comme L’Herbe ou Le Canon n’auraient jamais forgé leur identité pittoresque, immortalisée par le peintre Jean Dupouy dans les années 1950.

D’un côté… mais de l’autre…

D’un côté, la forêt domaniale protège le Bassin des assauts atlantiques. Mais de l’autre, elle sert aussi de coupe-feu naturel pour les investisseurs immobiliers, avides de vues directes sur la mer. Entre préservation et pression foncière, l’équilibre reste fragile : en 2022, le prix moyen du m² à Pyla-sur-Mer a dépassé 9 200 €, soit +12 % en un an (chiffres Notaires de France).

Quelles légendes hantent encore le Bassin ?

Les récits oraux, transmis sur les pontons, peuplent Arcachon de fantômes marins. Le plus populaire : « la Dame blanche du Cap Ferret », silhouette drapée aperçue depuis 1898 dans la brume. Autre mythe : le trésor englouti du corsaire Jean-Laffitte, qui aurait caché ses piastres dans les passes traîtresses.

Plus tangible, la villa algérienne, construite en 1863 par le diplomate Jules Chambrelent, abrite une mosaïque datée de 1864 importée d’Oran – on y célèbre encore, chaque 15 août, le « bal des sirènes », clin d’œil aux pêcheuses d’huîtres d’antan.

Qu’est-ce que la “Coupe du Monde de pinasse à voile” ?

Événement né en 1981, cette régate rassemble chaque été plus de 40 embarcations traditionnelles, longues de 8 m. La pinasse, bateau plat en pin, est l’ancêtre des speed-boats du Bassin. En 2023, l’équipage de Cazaux a remporté la manche en 1 h 17 min, exploit salué sur le front de mer sous les applaudissements de 5 000 curieux. La manifestation illustre la volonté locale de protéger un patrimoine flottant tout en le rendant compétitif – un bel oxymore.

Comment participer ?

1. Inscription auprès de l’Association des usagers du Bassin (AVBB).
2. Certificat de flottabilité daté de moins de deux ans.
3. Équipage minimal de trois personnes, dont un barreur breveté.

Entre passé et avenir, un souffle à partager

Arcachon n’est pas une carte postale figée. Chaque marée, chaque bourrasque de l’Ouest réécrit le paysage, chalutant nos certitudes. J’ai grandi avec le grincement des volets verts de la Ville d’Hiver, et je demeure fasciné lorsque le soleil décline sur la dune, teintant d’or la résine des pins. La prochaine fois que vous respirez cet air mêlé d’embruns et de bruyère, tendez l’oreille : vous entendrez peut-être le murmure des gemmeurs, le sifflement des locomotives Pereire, ou le rire des baigneuses de 1903. Continuez l’exploration, car le Bassin regorge encore de secrets à dévoiler, qu’il s’agisse d’artisanat ostréicole, de sentiers patrimoniaux ou de villas centenaires cachées derrière les tamaris.